Avocat-fiduciaire : retour sur une spécialité de la profession — Questions à Yann Streiff, avocat au barreau de Paris et... premier, sinon seul, avocat-fiduciaire en exercice !
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Opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens des droits ou des sûretés présents ou futurs à un ou plusieurs fiduciaires, la fiducie a été officiellement introduite dans notre droit positif par la loi n˚ 2007-211 du 19 février 2007. Ne concernant initialement que les personnes morales soumises à l'IS, la loi de modernisation de l'économie lui a donné un second souffle en étendant la fiducie aux personnes physiques et aux personnes morales non soumises à l'IS (loi n˚ 2008-776 du 4 août 2008). L'avocat pouvait donc désormais être fiduciaire. Le Conseil national des barreaux en a donc tiré toutes les conséquences en adaptant le règlement intérieur national (RIN) à ce nouveau champ d'activité en 2009. Pour faire le point sur cette spécialité Lexbase Hebdo a rencontré Yann Streiff, avocat au barreau de Paris et... premier, sinon seul, avocat-fiduciaire en exercice !
Avocat depuis une vingtaine d'années Yann Streiff a démarré sa carrière chez Gide avec un poste très privilégié : avocat et rédacteur du Bulletin Joly. C'est dans ce cadre, qu'en 1989-1990, il a eu l'occasion de coordonner avec le Professeur Witz un numéro spécial sur la fiducie ! Déjà...
Ancien secrétaire de la conférence, promotion 1991, ancien administrateur de l'EFB, et, depuis quelques semaines, animateur du comité scientifique de formation et de publication de l'Ordre (qui a pour objet de mettre en valeur la richesse des contributions intellectuelles des commissions ouvertes de l'Ordre), Yann Streiff a accepté de répondre à nos questions.
Lexbase : Pourquoi êtes-vous, à ce jour, le seul avocat-fiduciaire du barreau de Paris ?
Yann Streiff : Cela résulte de la conjonction de deux facteurs. Le premier réside dans la notion de 'terre inconnue", il faut toujours des pionniers ! Le second est d'ordre technique. En effet, pour exercer l'activité d'avocat fiduciaire il faut deux assurances. D'abord, il faut un addenda à l'assurance de responsabilité civile professionnelle. Ensuite, il faut une assurance spécifique, dite de représentation de fonds, qui a rebuté les assureurs, faute de base de comparaison. Si à ce jour, nous n'avons pas encore formellement ce type d'assurance, cela devrait arriver dans les semaines à venir. Lorsque l'obstacle technique de l'"assurabilité" sera surmonté, d'autres pionniers viendront à ma suite !
Lexbase : Depuis quand êtes-vous avocat-fiduciaire et quelles sont les obligations particulières qui vous incombent à ce titre ?
Yann Streiff : Je suis avocat-fiduciaire depuis un peu plus d'un an, et enregistré en cela sur la liste ad hoc de l'Ordre. L'activité d'avocat fiduciaire doit être totalement distincte de celle d'avocat. Et cela pour deux raisons : la première parce qu'elle est effectivement d'une nature différente ; la seconde parce que l'avocat-fiduciaire ne peut pas se prévaloir du secret professionnel qui est celui de l'avocat à l'égard des autorités publiques et notamment fiscales.
La fiducie est transparente d'un point de vue fiscal. Cette transparence ne veut pas seulement dire qu'il ne doit pas y avoir de conséquences fiscales au fait de mettre en place une fiducie, mais également qu'une fiducie est une maison de verre en sorte qu'elle peut être soumise à des contrôles administratifs et fiscaux de toute nature. Cela suppose, non seulement d'avoir une comptabilité distincte, ce qui est le propre de la fiducie, mais également d'avoir les dossiers fiduciaires dans un espace physique distinct de celui de l'activité d'avocat, et cela passe aussi par un outil informatique distinct.
Lexbase : Les maniements de fonds liés à cette activité d'avocat-fiduciaire transitent-ils par la CARPA ?
Yann Streiff : Pour des raisons que je ne partage, ni ne comprend, le législateur a exclu que les maniements de fonds fiduciaires se fassent par la CARPA. Cela est, à mon sens, dommage parce que c'était, au contraire, une garantie tant pour les constituants qui créent des fiducies que pour les pouvoirs publics, d'avoir un contrôle et une rigueur supplémentaire sur les maniements de fonds fiduciaires. Il y a peut-être eu la crainte, au prétexte de la CARPA, d'invoquer le secret professionnel, ce qui n'était pas l'objet : il aurait suffi de prévoir que les maniements de fonds se feraient par la CARPA. Une modification de la loi en ce sens pourrait être une avancée importante.
Lexbase : La déontologie de la profession a été modifiée afin de prendre en compte ce nouveau champ d'activité. Les dispositions actuellement en vigueur vous semblent-elles suffisantes ? Quel regard les pouvoirs publics portent-ils sur cette spécificité au regard de la transparence exigée ?
Yann Streiff : La déontologie de l'avocat est suffisamment riche pour couvrir l'ensemble des hypothèses de l'avocat-fiduciaire. Je ne crois pas qu'il faille d'autres adaptations que celles qui ont été faites et qui, en substance, consistent à dire que l'avocat-fiduciaire respecte les règles de sa déontologie d'avocat et, par ailleurs, met en place une dichotomie claire entre les deux activités. Pour le reste, un fiduciaire, quel qu'il soit, qui veillera à appliquer la déontologie de l'avocat, sera toujours dans les clous !
Il faut aussi rappeler que, lorsque vous créez une fiducie, elle est en substance connue de l'administration fiscale et du parquet ; la fiducie en elle-même est quelque chose non pas de public mais de connu de l'ensemble de l'administration.
Or, malheureusement, on constate toujours une certaine "paranoïa" de l'administration fiscale pour tout ce qui est trust et par voie de conséquence fiducie, que l'on appelle souvent le trust à la française. La vision "fiducie=trust=fraude" est erronée. Le droit comparé à cet égard nous apporte des enseignements utiles
L'ensemble des pays occidentaux connaît peu ou prou l'institution du trust ou de la fiducie, utilisée d'ailleurs par les acteurs économiques majeurs et également dans des hypothèses de familles, de partenariat public privé, etc..
La fiducie est un outil juridique essentiel qui faisait défaut et qu'il faut développer très sereinement. De la même façon qu'il existe la vente il existe un nouveau titre dans le Code civil, la fiducie : c'est une modalité de transfert de la propriété aussi légitime et vertueux que la vente.
Lexbase : Quel bilan tirez-vous de cette année d'avocat-fiduciaire ?
Yann Streiff : En un an je n'ai traité que peu de dossiers. En effet, les obstacles techniques, d'une part, et les réticences liées à un manque de recul sur cette pratique, d'autre part, font que le nombre de dossiers fiduciaires reste encore malheureusement anecdotique.
Inéluctablement il y aura beaucoup de fiducies. Mais combien de temps cela prendra, là est toute la question !
Lexbase : Comment les institutions représentatives de la profession promeuvent cette activité ?
Yann Streiff : C'est une activité très largement soutenue par la profession. La meilleure preuve en est la mention dans l'arrêté du 28 décembre 2011, fixant la liste des mentions de spécialisation en usage dans la profession d'avocat, comme étant à elle seule spécialité. C'est bien dire que dans l'esprit des organisations représentatives de la profession d'avocats la fiducie a une place évidente.
Source : http://images.lexbase.fr/sst/interview_Lexbase_de_Yann_Streiff.pdf
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